Sous l’Ancien Régime, Bourdeaux est un village
protestant. Les catholiques au XVIIIème siècle étaient en très nette minorité.
« Il y a deux cent soixante familles dont il n’y a que quatre de
catholiques » comme le rapporte Jules CHEVALIER dans Le
Diocèse de Die en 1644. On sait aussi qu’il y avait déjà un temple en 1559 et
un pasteur. Une tradition rapporte enfin que Calvin fit un crochet dans la
région deux ans plus tard, lors d’un voyage à Valence.
C’est l’un des principaux inconvénients pour retracer les
familles dans ce secteur drômois : la forte implantation du
protestantisme. Il y a bien les registres des pasteurs, mais on trouve peu de
trace d’actes de sépulture. Et beaucoup de mes ancêtres ont une date de
naissance, mais pas de date exacte de décès. D’où l’importance des contrats
notariés, contrats de mariage et testament.
L’Edit de Nantes, promulgué par Henri IV en avril 1598,
ramena la paix civile et religieuse après les guerres de religion. Eugène
Arnaud estime à environ soixante-cinq mille le nombre de protestants pendant la
période prospère de l’Edit de Nantes. Les réformés
sont alors reconnus et ne sont plus une hérésie promise au bûcher. Ils
obtiennent la liberté de culte.
Pendant près de quatre-vingt-dix ans, ceux de la Religion
Prétendue Réformée sont libres d’exercer leur foi. Des temples sont construits.
Des pasteurs sont nommés. Dans le Dauphiné, la situation est plutôt calme. Mais
avec la mort d’Henri IV et l’arrivée au pouvoir de la régente Marie de Médicis
et de Richelieu, les protestants vont devoir subir les pires sévices. C’est
surtout le cas avec Louis XIV, qui dès sa prise de pouvoir en 1661 veut se
débarrasser des non catholiques qu’ils considèrent comme hors la loi. Les
dragonnades commencèrent en 1681 à l’instigation de Louvois ayant pour but de
convertir les communautés protestantes.
Tous les moyens sont bons pour surveiller les
protestants. A Bourdeaux, les armées du Roi occupèrent longtemps le village.
Ces troupes logeaient dans des familles quelques temps avant de repartir
guerroyer en Italie, ou alors elles sont de simple passage. Ce moyen consistait
à faire supporter le poids de l’occupation par les habitants. Paul Cavet a logé
les sieurs La Chaine et La Fontaine trois jours (du 16 au 19 juin 1663) et durant
six semaines (du 1er juillet
au 13 août 1663).
Le 28 août 1683, les dragons marchèrent sur Bourdeaux car
un grand rassemblement de protestants se tenait dans la forêt de Saoû, et
l’ayant trouvé vide, ils se dirigèrent vers le hameau de Bourelles, à la
lisière de Bézaudun. On dénombra plus d’une centaine de morts, principalement
des Bourdelois. Ceux qui ne se sont pas fait tuer ont dû partir, contraints à
l’exil, car ils savent que se rendre, c’est mourir. En septembre, le Roi fit
prononcer une amnistie afin d’apaiser les esprits. Le
Temple de Bourdeaux est alors rasé, et les protestants sont invités à abjurer
leur foi. Tous les temples de la région sont détruits, à part celui du Poët
Laval, près de Dieulefit, qui servait de maison commune, c'est-à-dire de mairie (c’est aujourd’hui le
Musée du Protestantisme Dauphinois). C’est pour cela que Louis XIV pense qu’il n’y a plus
aucun protestant dans son royaume. Les occupations des troupes royales se sont
intensifiées pour surveiller les villageois, à Bourdeaux notamment,
continuellement espionnés. Ces derniers sont habitués à la vie double, et cela
ne change pas grand-chose à leur sort.
Musée du Protestantisme Dauphinois au Poët Laval
La Révocation de l’Edit de Nantes ne modifie pas non plus
la vie des protestants de Bourdeaux, dans les faits. Cet Edit de Fontainebleau
du 22 octobre 1685 est signé par Louis XIV qui semble persuadé que tous
les protestants se sont convertis : l’édit promulgué par son aïeul n’a
donc plus de raison d’être. Les dispositions de cette loi portent sur les
personnes. Les pasteurs sont contraints à l’exil, les protestants sont censés
s’être tous convertis, on leur interdit l’exil. Mais dans la réalité, c’est
l’inverse qui se produit. Eugène Arnaud estime que le nombre de fugitifs
dauphinois s’élevait à environ vingt milles personnes.
Les huguenots n’ont alors plus d’état civil, ils n’ont plus d’identité
juridique. Leur seul recours est de faire bénir leur mariage par le curé qui
accepte en précisant bien que les époux sont des nouveaux convertis.
De même, ils doivent faire baptiser leurs enfants à l’église catholique pour
que ces derniers puissent être légitimes. Ces dispositions sont primordiales
pour la transmission du patrimoine familial qui ne peut avoir lieu sans état
légitime.
Le seul moyen pour échapper à la répression des dragons
était de fuir à l’étranger, dans les pays du Refuge, comme la Suisse, les
Pays-Bas ou l’Allemagne. Ceux qui restent sur place sont obligés de se
soumettre à la législation. Mais en réalité, on observe une résistance farouche
à l’égard du pouvoir : c’est la période du Désert.
Les populations supposées être protestantes furent très
surveillées à partir de la Révocation. Il arrivait que des assemblées réunies
pour le culte soient découvertes et que leurs participants soient arrêtés et
emprisonnés. C’est le cas par exemple pour le dieulefitois Abraham Soubeyran
emprisonné à Grenoble en mai 1745.
Quand ils ne sont pas envoyés en prison, on les condamne
aux galères. Gaston Barnier, historien de Bourdeaux, apporte une liste des dix
galériens du village. Ces données sont issues d’un
recensement des galériens établi par le Musée du Protestantisme Dauphinois
comportant deux cent cinquante-sept noms pour tout le Dauphiné. On ne trouve
aucun Cavet, mais il y a un galérien qui nous intéresse particulièrement :
Jean Julian fils de Paul et de Blanche Rouvière, mari de Geneviève Bertrand, du lieu de Bourdeaux en Dauphiné, cardeur de laine âgé de quarante ans (…) condamné aux galères à vie pour assemblée illicite à Venterol, arrêté le 1er janvier 1689, jugé le 28 février, libéré le 7 mars 1714.
Jean Julian et Geneviève Bertrand sont les parents
d’Isabeau, née vers 1687, et décédée le 21 mai 1747 à Bourdeaux, qui épouse
Louis Cavet, fils de Louis et de Dauphine Dalmas (Contrat du 13 avril
1723, AD Drôme, 2 E 17136, Maître Brenat).
Mais, comme on vient de le voir, l’émigration des
protestants du Dauphiné était le moyen le plus sûr d’échapper à la répression,
quand ils arrivaient à passer la frontière. Des listes de fugitifs sont
établies à Dieulefit par les consuls : une centaine de noms sont
référencés. Mais c’est Eugène Arnaud qui nous donne
des listes de religionnaires plus importantes. Le
Centre National de la Recherche Scientifique a publié, d’autre part, ses
données sur le refuge huguenot, consultable sur Internet : http://cams-atid.ivry.cnrs.fr. Nous trouvons dans cette base cent quatre-vingt-quatre
références pour les protestants venant de Bourdeaux, et deux cent quarante-deux
pour ceux de Dieulefit. Le seul Cavet présent dans cette base est originaire de
Mizoën, dans le Grésivaudan, près de Bourg d’Oisans dans l’Isère : il est
présent à Genève en 1686.
La famille Cavet est donc restée à Bourdeaux au moment de
la Révocation de l’Edit de Nantes. Elle a résisté, participant à des assemblées
cachées, faisant bénir leurs mariages, baptiser leurs enfants par les pasteurs.
Ces assemblées secrètes sont appelées le Désert, c’est à dire l’ensemble des
lieux cachés (grottes, ravins, forêts…) où les protestants célèbrent leur culte
dans la clandestinité.
On trouve la trace de Paul Cavet dans les archives
municipales de Bourdeaux dès 1632, dans les archives fiscales précisément. Il
paie la dime, et la taille protestante, comme tous les chefs de famille de
cette religion : 3 livres en 1645, 3 livres et 20 sols en 1659, même
somme en 1650 et 1652.
Dans son testament, en date du 8 février 1669 (AD Drôme, 2 E 17113, Maître Chabane), il est appelé vrai chrétien, et
aucune mention de l’Eglise Catholique Apostolique et Romaine comme c’est le cas
au XVIIIème siècle.
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