Quai
de la gare de Lyon, début 1890. Théodore serre sa soeur dans les bras. Ils ne
se sont pas vus depuis quatre ou cinq ans déjà, depuis que Nathalie s'était
mariée avec un gars de chez eux. Théodore est maintenant devenu un jeune homme,
et son envie de Paris était toute aussi grande que lui était petit. Tout juste
1 mètre 51.
Du
fin fond de son Languedoc natal, il en rêvait de Paris. La ville lumière, la
fête, les femmes et les jeux. Il voulait tout tenter. Et comme au village, il
passe ses journées dans les cafés, comme limonadier. Installé dans le quartier
du Marais, c'est là qu'il rencontre son épouse. Une modeste femme de chambre
berrichonne, avec qui les choses vont assez rapidement dégénérer. Les frasques
de son mari y seront pour beaucoup. Théodore va voir ailleurs. Il profite.
Joséphine préfère retourner dans son village pour accoucher d'un petit garçon.
Un premier avertissement lancé à son mari qui fait tout pour la reconquérir.
L'enfant ne vivra qu'à peine huit mois. Et Théodore reprend ses addictions.
Il
passe du temps avec d'autres femmes. Joséphine voit rouge, ils se séparent. Théodore
rencontre Léontine, avec qui il aura une fille, prénommée Nathalie. Comme sa
chère soeur. Mais comme il n'est pas divorcé, impossible de reconnaître
l'enfant.
Et
Théodore joue. Jeux de hasard, jeux d'argent, courses de chevaux. En 1903, il
est condamné à 200 francs d'amende pour tenue d'une maison de jeux de hasard.
Pour Joséphine cette fois c'en est trop. Elle demande le divorce et l'obtient.
Cela
n'empêche pas Théodore de continuer à sombrer. En 1907, il s'établit à Maisons-Laffitte,
tout près de l'hippodrome. Idéal pour aller jouer aux courses. Deux ans plus
tard, en 1909, il passe quatre mois en prison, condamné pour abus de confiance.
Il est alors loueur de voitures, sa nouvelle passion. Qui lui fut fatale. Du
moins, c'est ce que toute la famille pensait.
Théodore
élève sa fille de loin. Il l'emmène la petite Nathalie aux champs de courses,
même si elle n'aime pas vraiment ça. Mais elle fait plaisir à son père qui ne
l'est pas officiellement. Depuis la mort de sa mère de la tuberculose, quand
elle avait 4 ans, elle passe davantage de temps avec sa tante, Nathalie, dans
la boucherie du Marais. Elle se prend aussi d'affection pour François, le frère
aîné de son père, resté à Saint-Etienne de Gourgas. Ils s'écrivent
régulièrement.
Janvier
1930, Nathalie reçoit une lettre de son oncle. Elle lui apprend la mort de son
père, qu'il croit décédé dans un accident de voiture. Théodore vivait alors à
Joinville le Pont et ne donnait plus guère de nouvelles. Est-ce l'éloignement
qui l'a tué ?
Le
16 décembre 1929, le corps d'un homme est repêché dans la Seine, face au 47
quai du Point du jour à Boulogne-Billancourt (au pied de la tour de TF1 aujourd'hui). Le policier indique que l'homme
est resté 10 à 15 jours dans l'eau. Sur lui, une enveloppe au nom de Mathurin Fraissinet,
avenue des Canadiens à Joinville (c’était en effet son premier prénom, mais il
se faisait appeler et signait Théodore). Son corps est alors transporté à la morgue de
Paris.
Source
: Registre des mains courantes du commissariat de Boulogne-Billancourt.
1928-1929. C B 83 10
Archive
de la Préfecture de Police de Paris
Dans
le registre de l'ancien institut médico-légal pour l'année 1929, on y retrouve
notre homme, arrivée à la morgue le 16 décembre à 17h25. Agé de 59 ans, il est
indiqué qu'il portait des souliers, deux chemises, une ceinture en cuir, un
complet veston, un pardessus, un pantalon, un col en celluloïd, des chaussettes
et un sac. Il avait également sur lui un billet de 10 francs, qui a été prélevé
pour la taxe. Son autopsie est réalisée le 20 décembre et détermine la cause de
la mort : submersion. Il n'est reconnu que le 4 janvier et son corps n'est pas
réclamé par sa famille.
Source
: Registre de la morgue de Paris. Année 1929. L A 109
Archive
de la Préfecture de Police de Paris
Quelle vie ! C'est une chance d'avoir réussi à reconstituer autant d'étapes de son parcours...
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